Le Bangladesh sous pression jihadiste

Le Bangladesh sous pression jihadiste

Le péril jihadiste menace le Bangladesh. Depuis une dizaine de jours, des étrangers sont la cible d'attaques et d'exécutions dans ce pays de 160 millions d'habitants, en grande majorité musulmans. Ces actes témoignent de la montée en puissance de groupes extrémistes qui prospèrent dans un climat politique délétère entre le parti au pouvoir qui accuse l'opposition de soutenir les islamistes. Ils surviennent après les meurtres en série de quatre blogueurs depuis le début de l'année, qui jettent une ombre sur l'image d'un Bangladesh jadis relativement tolérant et laïc.

Un pasteur évangéliste bangladais est le dernier en date à avoir fait les frais de l’activisme croissant des radicaux. Lundi, Luke Sarker a échappé à une tentative d’égorgement. Trois hommes, qui l’avaient contacté deux semaines plus tôt, se sont présentés à sa maison dans le district de Pabna (nord-ouest du pays) prétextant vouloir en savoir plus sur le christianisme. Puis ils se sont emparés de lui. Le pasteur a eu la vie sauve grâce à l’arrivée de sa femme alertée par ses cris. Les assaillants ont fui.

Kunio Hoshi et Cesare Tavella n'ont pas eu cette chance. Le premier, un ouvrier agricole japonais de 66 ans, a été tué par balles samedi par un commando de trois hommes circulant à moto dans le village de Mahiganj (300 kilomètres au nord de Dacca). Le deuxième, un travailleur humanitaire de 50 ans, a été tué selon le même mode opératoire dans le quartier des ambassades de la capitale bangladaise, le 28 septembre. Les deux assassinats ont été revendiqués par l'Etat islamique (EI), mais les autorités de Dacca se sont empressées de démentir fermement l'implication et la présence de terroristes de cette organisation. «C'est absolument n'importe quoi. Il n'y a pas de [militants] de l'EI dans le pays, en aucune façon. Pourquoi l'EI ferait cela ici ? Il s'agit d'incidents visant à créer de l'instabilité. Les revendications sont louches et nous les examinons», affirmait, dimanche, le ministre de l'Intérieur, Asaduzzaman Khan Kamal. Avec les mêmes certitudes, Sheikh Hasina, la Première ministre, avait également écarté la piste EI. «Nous n'avons aucun indice. […] Si quelqu'un revendique la responsabilité» de ces meurtres, «pourquoi devrions-nous l'accepter ? Tant que nous n'aurons pas découvert de lien au moyen d'une enquête, il n'y a aucune raison pour que nous l'acceptions.»

Péril jihadiste en Asie du Sud-Est
Pour le moment, les experts s'accordent à dire que l'Etat islamique, d'un «point de vue organisationnel, n'est probablement pas présent au Bangladesh, explique à Libération Ali Riaz, politologue bangladais réputé et expert de l'islamisme en Asie du Sud-Est, à l'université de l'Illinois aux Etats-Unis. Qu'il y ait des individus de plus en plus nombreux, des petits groupes qui tentent de copier, de devenir des émules de l'EI ou d'Al-Qaeda, d'attirer l'attention par des actes retentissants, c'est certain. Mais pour l'instant, il n'y a, en effet, aucune preuve accréditant la thèse d'une connexion entre ces réseaux internationaux et une structure au Bangladesh. Ce n'est peut-être qu'une question de temps.»

L'année dernière, l'Institut indonésien pour l'analyse politique des conflits avait pointé les périls d'un militantisme jihadiste extrême en Asie du Sud-Est. Les experts craignaient le retour dans leurs pays d'origine de volontaires partis combattre en Syrie ou en Irak. «Ils pourraient devenir l'avant-garde d'une force de combat qui atteindrait l'Indonésie, la Malaisie et les Philippines.» Le Bangladesh ne figurait pas dans la liste des Etats les plus exposés. Pourtant, ces derniers mois, la police dit avoir arrêté des candidats au départ pour le Moyen-Orient. Les autorités ont renforcé leur contrôle et multiplié les opérations coup de poing.

«La société bangladaise a souvent rejeté le militantisme extrémiste depuis les années 60 et 70, poursuit Ali Riaz. Mais dernièrement, les Bangladais sont devenus plus religieux. Le principal problème aujourd'hui est que ces petits groupes militants gagnent en force et en organisation et tendent à se rassembler. Ils profitent d'une crise politique qui leur ouvre un espace sans précédent. C'est pourquoi, il ne faut pas prendre les choses à la légère.»

«L’espace démocratique s’est réduit ces dernières années»
Depuis les troubles de 2013 et les élections de janvier 2014 boycottées par 18 partis de l’opposition, la vie politique bangladaise s’est durcie. A la tête de la ligue Awami, parti laïc de centre-gauche, Sheikh Hasina a remporté les législatives et s’est offert un troisième mandat à la tête du pays, isolant un peu plus Khaleda Zia, son ennemie historique et patronne du Parti nationaliste du Bangladesh (BNP).

Depuis 2009, Sheikh Hasina n'a cessé de marteler son intransigeance envers les islamistes qui avaient tenté de l'assassiner en 2004. En 2005, le groupe Jamayetul Mujahideen Bangladesh avait terrorisé le pays en déclenchant environ 500 petites bombes dans plus de 300 localités à travers tout le pays. En 2013, Jamaat-e-Islami, le principal parti islamiste du pays, a été interdit d'élection car suspecté d'encourager en sous-main des militants radicaux. Le pouvoir a procédé à des arrestations par centaines, multipliant des mesures de restrictions, créant un sentiment de répression envers toute opposition. «L'environnement politique et l'espace démocratique se sont réduits ces dernières années, note Ali Riaz. Cela a indéniablement jeté des opposants dans les bras des radicaux.»

Les autorités bangladaises continuent à parler d'«incident isolé» pour qualifier les meurtres d'étrangers. Ces derniers jours, les ambassades occidentales ont appelé leurs ressortissants à prendre «des mesures de sécurité renforcées […] et donc d'éviter tout déplacement inutile, à pied en particulier, et les lieux de rassemblement habituels pour expatriés, notamment les hôtels», indiquait, mercredi matin, l'ambassade de France à Dacca.

News Courtesy:

https://www.liberation.fr/planete/2015/10/07/le-bangladesh-sous-pression-jihadiste_1398828/

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