Le Bangladesh, un pays dans l’engrenage de la violence et de la répression
A noter que cette analyse a été publiée le 10 juin, avant l'attaque qui a frappé Dacca le 1er juillet.
Le Bangladesh est en train de dévisser. Un redoutable climat d’exécutions et de répression s’est emparé de ce pays musulman de 168 millions d’habitants qui était jadis considéré comme un modèle de tolérance et de laïcité. Partie prenante d’une profonde crise politique, le gouvernement de la Première ministre, Sheikh Hasina, est lancé dans une inquiétante dérive autoritaire, peu à même d’affronter trois problèmes qui s’entremêlent et s’alimentent.
Le premier des trois maux bangladais a trait à la violence. Elle est à l'origine de l'indépendance et ses effets n'ont cessé de produire des divisions et des tensions. Au terme d'événements sanglants et fratricides qui ont causé la mort d'au moins 300 000 personnes et le déplacement de 10 millions d'individus, la partie orientale du Pakistan a accédé à l'indépendance en 1971. Ce «traumatisme national fondateur», selon Gary Bass, professeur de politique et de relations internationales à Princeton, qui évoque un «génocide oublié» (1), perdure dans la conscience politique du pays. Quand la Première ministre, Sheikh Hasina, a créé en 2010 le Tribunal international des crimes du Bangladesh (ICT), le pays a cru pouvoir affronter en paix son terrible passé. En vain. L'ICT s'est vite révélé un organe judiciaire chargé d'une vendetta politique au nom des victimes. Il a fait exécuter cinq dirigeants. Tous de l'opposition, dont Motiur Rahman Nizami, le chef du grand parti islamiste bangladais Jamaat-e-Islami, le 10 mai.
Deuxième problème qui fragilise la jeune démocratie, la culture politique bangladaise ne tolère pas l'opposition et la dissidence. L'après-guerre n'a pas mis un terme à la fureur et aux attaques. Les deux bégums (héritières de dynasties politiques), Sheikh Hasina et Khaleda Zia, qui dominent la vie politique depuis les années 90, se haïssent. Frappées l'une et l'autre au sein de leur propre famille par les assassinats et les tentatives d'exécutions, elles ont alimenté un climat de guerre civile dont l'objectif est l'affaiblissement de l'opposante pour permettre la survie politique de l'autre. Ces dernières années, Sheikh Hasina et la Ligue Awami (nationaliste et laïque) qu'elle dirige ont cherché à étouffer Khaleda Zia et son Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), allié par le passé au groupe islamique Jamaat-e-Islami, dans le viseur du pouvoir. Il n'y a plus d'alternance depuis 2008. «L'environnement politique et l'espace démocratique se sont réduits, expliquait à l'automne le politologue Ali Riaz. Cela a indéniablement jeté des opposants dans les bras des radicaux.»
Car le Bangladesh a enfin un problème avec le jihadisme. Après la quarantaine de meurtres d’intellectuels, de blogueurs, d’étrangers, de religieux, de militants gays, le pouvoir blâme une opposition affaiblie et harcelée, comme il l’a fait encore mardi par la voix du ministre de l’Intérieur, Asaduzzaman Khan. Si le BNP a laissé se développer des groupes radicaux dans les années 2000, la Ligue de Hasina leur a donné des arguments pour se mobiliser avec sa politique d’exclusion vis-à-vis de l’opposition et son virage répressif. Malgré les revendications formulées par l’Etat islamique, Dacca se borne à dire depuis des mois que les attaques sont perpétrées par des groupes locaux. Mardi, la police a tué au moins trois islamistes du groupe interdit Jamaat-ul Mujahideen Bangladesh (JMB). Signe d’une radicalisation qui s’est internationalisée, 27 Bangladais ont été arrêtés en fin d’année dernière à Singapour et renvoyés. Huit autres, en possession de documents extrémistes et d’argents ont été capturés en avril. Ils ont reconnu avoir créé une cellule de l’Etat islamique au Bangladesh.
News Courtesy:
https://www.liberation.fr/planete/2016/06/10/le-bangladesh-un-pays-dans-l-engrenage-de-la-violence-et-de-la-repression_1458717/